mardi 2 décembre 2008

Infinite Spirou Crisis (2)

[suite du message précédent]

Malheureusement, les éditions Dupuis trouvent le rythme de production de Fournier trop lent. Ils décident de lui reprendre le bébé... et c'est là, au début des années 80, que les choses se gâtent.
Dupuis prend la décision stupide de confier la série à trois équipes simultanément, refusant pendant quelques années de prendre une décision quant à la suite de la série. Cela donne une période d'instabilité, au cours de laquelle divers auteurs travaillent dans des conditions difficiles et incertaines.
Raoul Cauvin est le scénariste star du journal de Spirou à l'époque : il constitue la première équipe avec le dessinateur Nic Broca. Ils n'ont cependant pas le droit d'utiliser l'univers de Spirou (hormis Spirou, Fantasio et Spip). Il en résulte trois albums nés dans la douleur, souvent décriés mais à mon avis honorables compte tenu des circonstances et de la pression qu'ils portaient sur leurs épaules. Au bout du troisième album, l'équipe abandonne, jurant qu'on ne l'y reprendrait plus.
La deuxième équipe est en fait constituée d'un seul homme, Yves Chaland. L'auteur souhaite revenir à un style proche des années 50. L'idée ne convaint pas l'éditeur et son album ne sera jamais terminé.
La troisième équipe est constitué de deux jeunes auteurs inconnus à l'époque : Tome & Janry. C'est leur utilisation intelligente des personnages de Franquin qui fait pencher la balance : ils deviennent les repreneurs officiels.

Engagés pour leur rapprochement de Franquin, Tome & Janry ne tardent pourtant pas à s'en éloigner de nouveau. Loin de la fantaisie poétique de Franquin et Fournier, l'action prend le pas sur l'aventure et l'humour, bien que toujours présent, se teinte désormais de second degré et de cynisme. Des scénarios intelligents ("L'horloger de la comète" et surtout l'excellent "La vallée des bannis") ne parviennent pas à pallier cette dérive.
Celle-ci s'accentue avec la création du "Petit Spirou" (qui n'a de commun avec la 'série mère' que le nom) : en effet, Tome & Janry donnent désormais à la série un ton de plus en plus adulte, qui à mon avis ne lui sied guère. Cette évolution débouche d'abord sur un essai raté de sexuer à tout prix le héros (le vulgaire "Luna fatale")... puis sur la catastrophe "Machine qui rève".
"Machine qui rève" est un album sombre, au style semi-réaliste, alliant scénario convenu et dialogues lourdingues. Plus grave, de l'univers développé par Fournier et Franquin (et par eux-même !), il ne reste plus rien, comme si la série était vidée de sa substance et ne gardait de son passé que le nom.

Dupuis cherche à refermer la sinistre parenthèse "Machine qui rêve", mais ne trouve ses sauveurs qu'en 2003, six ans plus tard, à savoir le scénariste Jean-David Morvan et le dessinateur José-Luis Munuera. Ces deux auteurs essaient sur trois albums de revenir à un esprit un peu plus traditionnel, tout en y apportant du modernisme avec plus ou moins de bonheur. Il manque malheureusement toujours la part de fantaisie qui formait originellement le socle de la série, et de la reprise se dégage de temps en temps un peu trop de sérieux.
De bonnes idées sont là néanmoins, qui auraient pu laisser présager le meilleur ; les éditions Dupuis connaissent malheureusement une période de grands troubles, et la collaboration avec Morvan et Munuera s'arrète.
Avant de partir, ces derniers décident d'offrir à la série un quatrième album pouvant être considéré comme une bombe ou une pomme empoisonnée, au choix ; en tout cas, quelque chose qui justifie mon amertume - et ce double message longuet que je vous félicite d'avoir lu jusqu'ici (si ce n'est pas le cas, je ne vous félicite pas et considère que vous êtes un paltoquet ; je suis tranquille, vous n'allez pas vous plaindre puisque n'ayant pas lu ces lignes vous ne le saurez jamais - je suis machiavélique).
Je ne raconterai pas l'intrigue de "Aux sources du Z" pour ne pas spoiler ; l'album se veut un hommage aux albums de Franquin, mais on n'y retrouve rien de ce qui en faisait le charme. L'histoire se perd dans des méandres spatiotemporels dont l'incohérence vis à vis de la série n'a d'égal que le manque de crédibilité, se prend trop au sérieux, et débouche sur une fin pénible qui, d'une manière différente de "Machine qui rève" (mais pas tellement plus subtile), s'attache à détruire l'univers de Spirou.

"Aux sources du Z" parvient à faire encore plus mal au coeur que "Machine qui rève", car ici la destruction de cet univers si attachant est explicite, presque officiel. C'est le plaisir de retrouver cet univers qui m'a fait acheter cet album de Spirou sans savoir qu'il marquerait le glas de la série, au moins de la série telle que je l'aime, et c'est le dégoût qu'il m'a procuré qui ne me fera plus acheter aucun album de Morvan ou de Munuera (de même que de Tome ou Janry), pour tout le mal qu'ils ont fait à cette série.

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